Damien Hirst, le mouton noir de l’art

Par Marie Lesbats

« Damien Hirst » à la Tate Modern de Londres, jusqu’au 9 septembre 2012.

La Gallery Tate Modern de Londres présente la première grande rétrospective de l’artiste Damien Hirst. Devenu l’un des créateurs anglais les plus en vue, il s’offre aujourd’hui les cimaises des grands.

Né en 1965 à Bristol puis ayant grandi à Leeds, Damien Hirst est un enfant du pays. Il se fait connaître alors qu’il est encore étudiant, à l’occasion de l’orchestration de l’exposition Freeze qui rassemble divers jeunes artistes britanniques.

« L’exposition-expérience » – Hirst est un artiste « performer ». Son travail, basé sur les limites entre la vie et la mort, n’est ni homogène, ni réduit à l’utilisation d’un seul medium. S’il puise ses thèmes dans l’histoire de l’art classique – peintures de vanités, sujets religieux, effet « cabinet de curiosités » –, Damien Hirst est bel et bien cet ovni contemporain qui s’amuse du non-conformisme. Son obsession de la mort est partout. Et il nous la communique.

Il est quelque peu déroutant de voir courir un grand nombre d’enfants au cœur de l’exposition de la Tate. Apeurés ou excités, ils se réfugient entre les jambes de leurs parents puis retournent voir les « bestioles ».

Si la première salle compte seulement des objets, Hirst donne le ton dès l’espace suivant. Outre ses Spots Paintings – toiles de grand format couvertes de pois de toutes les couleurs – et ses étagères à poissons (Isolated Elements Swimming in the Same Direction for the Purpose of Understanding, 1991), il installe ici son œuvre la plus choquante, A Thousand Year (1990), première œuvre où il a recours à la boîte de verre. Âmes sensibles, s’abstenir. Des mouches exaltées tournent autour d’une tête de vache ensanglantée avant de finir grillées dans un tue-mouches électrique. Si le spectacle en réjouit certains, le public gêné secoue la tête avec un petit sourire… L’odeur fait aussi partie de l’expérience.

« Intérieur-extérieur », l’art entre la vie et la mort – Malheureusement, si vous souhaitez accéder au clou de l’exposition, il vous faudra faire la queue le long de cette vitrine putride. Dans les deux salles du fond se déroule un spectacle d’une grande poésie. D’abord présentés morts et englués dans les couleurs de l’artiste, des papillons de toutes sortes volent librement, dans une  autre salle à l’atmosphère humide et chaude. L’idée de Hirst est limpide : comment, dans un laps de temps aussi court, un papillon naît, vit, puis meurt. Ici encore, la puissante juxtaposition de la vie et la mort sert le propos. Le spectacle est réjouissant, a priori pour tous.

L’autre temps fort tient à l’œuvre Mother and Child [Divided] (1993), qui présente une vache et son veau littéralement coupés en deux sur toute la longueur, et conservés dans du formol. Une fois encore, il faut faire la queue pour traverser les entrailles des bêtes. Et si la vue d’organes peut en gêner certains (dont moi), il faut bien reconnaître que cette expérience est réussie, presque belle et même instructive : des parents expliquent l’anatomie à leurs rejetons « ici, tu vois, c’est l’estomac… ».

Quelques œuvres plus loin, Hirst s’élève au rang de pape de l’art en reprenant le thème du lépidoptère : formés d’ailes de papillons morts, de véritables vitraux sont recréés, donnant à la salle un air de cathédrale. Au centre, un ange de marbre mi-écorché (The Anatomy of an Angel, 2008) souligne encore le caractère religieux et la promesse d’une vie après la mort.

Et pourtant… le mouton noir dans sa boîte de verre vient s’opposer au mouton blanc présenté quelques salles plus tôt. Dans le même espace, le Black Sun (2004), disque noir massif composé de papillons morts, semble enfin annoncer la fin des temps. Ce pessimisme certain, cette absence de foi dans l’au-delà, trouve pourtant un dernier contrepoint dans le cabinet d’or et de diamants (record de vente Sotheby’s à Londres en 2008), sorte de paradis retrouvé qu’encourage la colombe figée en plein vol, celle qui vous souhaite bon vent.

Images :

Black Sheep, 2007, Collection Bill Bell

The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone, 1991, Collection privée

Sympathy in White Major – Absolution II, 2006, Collection privée

The Incomplete Truth, 2006

Pour approfondir, le site de Damien Hirst